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En savoir plus sur les points cardinaux de la carte de la justice civile

INTRODUIRE LA MAPPEMONDE

Dans l’axe EST-OUEST, les points cardinaux désignent le cadre de référence sur lequel s'appuie la résolution du conflit et l’importance plus ou moins grande qui sera accordée aux dimensions subjectives et personnelles d’une part (valeurs, intérêts, besoins, émotions et sentiments (VIBES)) et aux dimensions plus normatives et collectives d’autre part (Droits/Obligations). 

Dans l’axe NORD-SUD, les points cardinaux désignent l’endroit où sera placé le curseur du pouvoir décisionnel qui se situe entre l’autodétermination au NORD et l’autorité au SUD.

Les axes EST-OUEST et NORD-SUD de la carte représentent tous les deux la tension entre des perspectives complémentaires qui peuvent affecter une situation donnée. Les tensions dans les dynamiques, autodétermination et autorité d’un côté et VIBES et droits de l’autre, varient et changent au fil de l’évolution des interventions et des interactions entre les personnes et les systèmes dans lesquels elles déterminent de résoudre leur différend. Aucune direction n’est préférable à l’autre, en soi. Dans chaque contexte, selon les situations particulières, les protagonistes et les intervenant.e.s impliqué.e.s dans des situations de conflits vont accorder plus ou moins d’importance à chacun des points cardinaux et, ce faisant, choisir un mode d’intervention spécifique plutôt qu’un autre. 

Le contexte social et les valeurs associées à une culture donnée ont également une influence sur le choix des MISC appropriés pour résoudre une situation conflictuelle. Si la société valorise de plus en plus l’autodétermination des individus, les intérêts collectifs militent parfois pour des décisions d’autorité afin de protéger le bien commun. 

Les quatre points cardinaux représentent des dimensions qui s’enchevêtrent et qui sont toutes nécessaires au fonctionnement social. Il importe de veiller au bien-être des individus, de prendre en compte leurs besoins, de promouvoir et de favoriser l’exercice de l’autodétermination et la responsabilisation des citoyen.ne.s dans la résolution de leurs conflits. Il est tout aussi important de respecter les normes collectives de vie en société qui restreignent les débordements, les écarts et les transgressions de conduites individuels et d’avoir accès, dans le système de justice canadien à une autorité légitime, habilitée à juger des situations litigieuses en fonction d’un cadre législatif stable et sécurisant qui détermine des paramètres sociaux de ce qui est acceptable ou non pour l’ensemble des citoyen.ne.s.

Des limites du contradictoire et de l'adversité

Dans notre système juridique contradictoire, l’affrontement constitue l’approche privilégiée où la personne ou l’organisation qui se sent blessée et lésée attaque « l’adversaire » afin de faire valoir son « droit ». Par exemple, la lettre de mise en demeure, une formule classique et banale pour les juristes, symbolise l’adversité sur laquelle repose notre système de justice tout entier. Cette lettre consiste à expliquer formellement à l’autre « partie » ce qui lui est reproché, à lui faire part de ce qu’elle peut faire pour régler la situation et à lui offrir un délai supplémentaire pour exécuter ses obligations sous la menace d’une poursuite judiciaire éminente. La mise en demeure s’avère véritablement intimidante et elle évoque la peur pour ceux et celles qui la reçoivent. Comme elle représente pour plusieurs une agression, elle place la ou le récipiendaire dans une position de défensive peu ouverte au dialogue et à l’échange. En somme, l’approche contradictoire envenime le conflit dès l’origine.  

Or, souvent les protagonistes aux prises avec un conflit juridique se font représenter par des juristes, des avocat.e.s, dont la fonction consiste à prendre fait et cause pour eux. Il leur appartient de défendre de leur mieux, et dans les limites permises par la loi, les intérêts de leurs client.e.s. Ces professionnel.le.s doivent « adopter les uns par rapport aux autres des attitudes et des règles de comportement propres à la compétition, voire au combat »1 

Le terme « combat », défini au sens figuré, évoque l’idée d’une lutte, d’une bataille dans laquelle deux adversaires s’affrontent. Le Juridictionnaire définit ainsi le « combat » dans le contexte juridique :  

Dans un procès, deux adversaires s’affrontent devant un arbitre : le demandeur avance des allégations, le défendeur les pare, chacun prend appui sur des prétentions pour gagner sa cause, pour triompher, chacun combat les prétentions adverses élevées dans l’espoir qu’elles seront repoussées, le demandeur relate des faits que le défendeur doit contester en présentant des moyens dont la force probante sera, souhaite-t-il, irrésistible dans l’appréciation souveraine, attribut incontestable de la juridiction saisie du litige. « La manifestation de la vérité est l’enjeu du combat judiciaire pour la preuve. » De ce point de vue, l’instance judiciaire est considérée comme une bataille, un duel, un affrontement : le défendeur doit combattre tout ce qui est présenté au tribunal au détriment de sa cause. Combattre des témoignages rendus, des éléments de preuve rapportés 

[…] 

Ainsi, le défendeur oppose tous les moyens de défense propres à prouver le bien-fondé de sa position : il combat les affirmations de son opposant. Pour ne pas être débouté, il montrera que tous les moyens qu’il met en avant pour combattre par une preuve contraire les allégations qui sont faites à son égard sont faux ou mal fondés, qu’ils sont sans valeur, sans mérite2. 

Le débat contradictoire est perçu comme un combat juridique. Il s’agit d’un débat d’idées, de positions et de prétentions, d’une guerre que chacun livre en faveur de sa cliente ou de son client. Les membres du Barreau exercent leur profession dans un esprit de lutte et adoptent une attitude combative3 . En effet, dans le contexte du procès, les avocates et les avocats sont assimilés aux gladiateurs4, du temps de l’Empire romain, qui combattaient dans une arène.  


[1] Daniel Weinstock, « Introduction aux fondements de l’éthique et de la déontologie », dans coll. « De droit 2016-17 École du Barreau», vol. 1, Éthique, déontologie et pratique professionnelle, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2016, à la p 19.

[2] Juridictionnaire, sub verbo « combat », en ligne: http://www.btb.termiumplus.gc.ca/juridi-srch?lang=fra&srchtxt=combat&i=&lettr=&cur=1&nmbr=&comencsrch.x=0&comencsrch.y=0 (consulté le 27 janvier 2017).

[3] Michel T. Giroux, « Plaidoyer pour un avocat maître de la sagesse pratique », dans coll. « De droit 2008-09 École du Barreau du Québec », vol. 13, Justice, société et personnes vulnérables, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, 143 à la p 151.

[4] Michelle Thériault, « Le défi du passage vers la nouvelle culture juridique de la justice participative » juin 2015, R. du B., La Référence, EYB2015RDB152.

 

Favoriser la justice par la collaboration

Rechercher la justice par la collaboration suppose s’appuyer fondamentalement sur l’empowerment, sur une profonde confiance que les personnes ou les organisations en conflit sont les plus aptes et les mieux placées pour trouver des solutions sur mesure adaptées à leurs circonstances. La collaboration implique aussi de compter sur la création, soit la capacité des personnes d’imaginer des solutions adaptées à leur conflit et fondées sur la recherche de consensus. 

Donner confiance et promouvoir l'empowerment

Pour privilégier la justice par la collaboration, il faut d’abord faire confiance aux citoyennes et aux citoyens et favoriser leur empowerment. Avoir confiance que les personnes en conflit connaissent mieux que quiconque leurs besoins et leurs intérêts, qu’elles ont les capacités et les habiletés pour trouver les solutions les plus adéquates à leur contexte et pour prendre les meilleures décisions pour elles-mêmes. Avoir confiance qu’elles sauront conclure ou non une entente afin d’atteindre un sentiment de justice adapté à leurs circonstances particulières. Enfin, avoir confiance que les protagonistes à un conflit, respecteront une entente qu’ils ont conclue volontairement. 

La démarche collaborative suppose une justice participative. Comme son nom l’indique, la justice participative propose aux personnes qui rencontrent un problème de nature juridique de participer activement à trouver une solution à leur conflit. La justice participative tire sa source d’une volonté d’améliorer la gestion des conflits au bénéfice des personnes impliquées. Un aspect majeur de la justice participative est l’importance – voire l’obligation – pour les juristes d’informer et de conseiller chaque protagoniste en conflit sur les différentes façons de régler le conflit qui l’oppose à d’autres. Cette information permet aux personnes impliquées de choisir, en toute connaissance de cause, le processus et la solution qui lui convient le mieux pour régler le conflit.  

La justice participative favorise des méthodes axées sur la recherche de solutions qui visent une amélioration de l’accès à la justice. Ces méthodes qui incluent notamment la négociation et la médiation ainsi que tout autre mode qui convient aux parties (article 1, C.p.c., L.R.Q., c. C-25.01) sont généralement moins coûteuses, plus rapides et souvent aussi efficaces que le recours judiciaire. Ces modes de résolution de conflits peuvent être tentées par les protagonistes eux-mêmes ou avec l’aide de professionnel-le-s formés pour les accompagner, par le biais de divers processus communicationnels, dans la recherche de solutions adaptées à leur situation. L’article 1 du Code de procédure civile du Québec (L.R.Q. c. C-25.01), mis en vigueur le 1er janvier 2016, édicte : « Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux. » Enfin, le recours à des modes fondées sur l’autorité, où arbitre ou juge détiennent le pouvoir de prendre des décisions, demeure toujours ouvert faute d’arriver à un consensus autrement. 

Valoriser la créativité et l'imagination

Pour atteindre la justice par la collaboration, il importe de favoriser des processus susceptibles de faire appel à la créativité des protagonistes en conflit. Les processus choisis pour empêcher que le différend ne s’envenime et pour le résoudre doivent permettre aux protagonistes de s’expliquer non seulement sur ce qui a conduit au malentendu qui les oppose, mais surtout d’imaginer des options et, éventuellement, des solutions susceptibles de leur permettre d’aller de l’avant pour l’avenir.  

La créativité et l’imagination jouent un rôle clef dans la détermination des manières possibles de résoudre le différend. Si le droit offre une manière d’appréhender le problème, l’appel à la créativité ouvre la porte à plusieurs autres façons de le résoudre qui peuvent faire appel à des règles juridiques, mais aussi à des normes sociales, culturelles, économiques, politiques, etc. Dans la recherche d’options, les protagonistes sont appelés à imaginer des solutions sur mesure adaptées à leur contexte qu’elles s’engagent à respecter.  

En ce sens, le recours à la créativité et à l’imagination s’inscrit dans la démarche d’empowerment des personnes impliquées dans le différend. En effet, les protagonistes à un conflit participent ensemble à trouver la solution de justice qui leur convient, qu’ils soient ou non accompagnés de professionnel-le-s en prévention et en règlement des différends. 

Rechercher le consensus

Pour promouvoir la justice par la collaboration, il faut rechercher le consensus plutôt que la victoire sur l’autre. La victoire, si victoire il y a, se remporte avec l’autre et non aux dépens de l’autre. La collaboration appelle des solutions « gagnant-gagnant ». Dans le cadre de leurs négociations, les protagonistes en conflit acceptent de ne pas obtenir l’entièreté de leurs demandes, mais suffisamment pour conclure des ententes mutuellement satisfaisantes et réalistes qui préservent leur dignité. La démarche collaborative se tourne résolument vers l’avenir en ce qu’elle recherche des solutions sur mesure qui sont réalisables et susceptibles d’être exécutées par les personnes en présence. L’approche consensuelle repose sur la collaboration entre les protagonistes et les personnes qui les conseillent dans la recherche d’un objectif commun ou d’une saine rupture. 

Orienter les citoyen.ne.s et les intervenant.e.s vers une vaste offre de justice 

La société pluraliste et en mutation rapide engendre inévitablement des différends de toutes sortes et à tous les niveaux, individuels, interpersonnels et sociétaux. L’être humain tend à éviter les conflits puis à les ignorer ou à faire des compromis rapides pour les régler au plus vite. Un travail de résolution des différends et des conflits s’avère pourtant nécessaire pour permettre la coexistence des différences entre les individus et les communautés, pour transformer les règles du jeu et les politiques sociales ainsi que pour favoriser le développement de nouveaux consensus sur lesquels appuyer l'évolution des sociétés. 

S’il est juste d’affirmer que plusieurs conflits reposent sur des malentendus et des intérêts divergents, pourquoi provoquer ou envenimer la querelle par le combat ? Si ces conflits s’inscrivent sur fond relationnel, pourquoi ne pas s’appuyer sur le passé interpersonnel pour rétablir des liens plus sains pour l’avenir ou pour bien réussir sa rupture ? N’y aurait-il pas lieu de plutôt susciter la communication et l’échange d’informations entre les personnes ou les organisations qui vivent un différend ? Pourquoi ne pas miser sur la collaboration plutôt que sur l’adversité pour résoudre le conflit ou, à tout le moins, pour trouver une ou des solutions sur mesure viables pour les protagonistes ? 

Les personnes sont déboussolées5 lorsqu’elles font face à un conflit et elles ont souvent besoin de consulter. Les professionnel.le.s rencontré.e.s interviennent pour gérer ces conflits selon des approches ayant des finalités, des valeurs, des méthodes et des critères de succès différents. Selon la porte à laquelle elles frapperont, les personnes pourront se voir offrir des services multiples qui correspondent à des besoins divers. Comment choisir parmi tous les services disponibles ? 

Les professionnel.le.s sont eux aussi désorientés.e.s par le changement de paradigme auquel les invitent les nouvelles pratiques de résolution de conflits. D’abord, les pratiques se multiplient. Plusieurs approches coexistent quand il s’agit de résoudre des différends. Ensuite, dans le milieu du droit, une réforme audacieuse du Code de procédure civile (Cpc) invite désormais les parties à considérer les modes de prévention et de règlement des différends (PRD) avant de faire appel aux tribunaux. Cette obligation se jumelle à celle de coopérer pour opérer une transformation de la culture juridique. Elle propose un modèle d’apaisement des conflits en privilégiant la prévention des différends par des interventions précoces afin d’éviter qu’ils ne dégénèrent ou se cristallisent. Face à cette réforme, les juristes se retrouvent sur un terrain qui n’est pas zoné et sur lequel ils retrouveront d'autres professionnel-le-s, aussi spécialistes en résolution de conflits, avec lesquels ils sont appelés à collaborer.  

De même, dans les sociétés en mutation rapide et constante, une réalité s’impose : les problèmes complexes exigent la collaboration entre les professionnels des différentes disciplines. Les compétences, les valeurs et les langages différents utilisés pour aborder les conflits doivent se conjuguer au sein d'équipes interdisciplinaires. 

Avec la popularité croissante des modes dits alternatifs de résolution de conflit (MARC), les interventions traditionnelles des avocat.e.s, des travailleur.se.s sociaux.ales, des conseiller.ère.s en ressources humaines ou des juges sont appelées à évoluer vers une plus grande complémentarité. Comment comprendre la valeur et l’apport de chacune de ses approches pour prévenir puis régler un différend ? Comment s'orienter parmi toutes les interventions auxquelles il est possible de recourir en situation de conflits ? 

Comme son nom l’indique, la mappemonde vise à cartographier le « monde » des modes d’intervention en situation de conflits (MISC) pour aider aussi bien les personnes aux prises avec un conflit que les professionnels qu’elles consultent, à s’orienter vers la direction qui leur convient le mieux. 


[5] Antidote 9: déconcerter, décontenancer, démonter, dérouter, désarçonner, désorienter, déstabiliser, ébranler, embarrasser, interloquer, troubler.

LA MAPPEMONDE DES MISC

Si la justice par la collaboration propose une alternative à celle qui s’exprime autour de l’adversité, une nouvelle approche s’appuie sur les principes de précocité, de proximité, de gradation6 et de proportionnalité7, dans les choix de MISC. Elle consiste à rechercher la justice par le biais d’une quête ou de cheminement. Le parcours des MISC, conformément à ses principes, favorise d’abord la participation des protagonistes pour trouver une solution mutuellement satisfaisante à leur différend fondé sur leur autonomie et leur autodétermination. En cas d’échec, l’itinéraire propose différents MISC dans une gradation qui progresse vers des décisions d’autorité culminant dans la sentence tranchée par l’arbitre ou le jugement rendu par un.e juge d’une force exécutoire incontestable. 


[6] Principes retenus par le gouvernement du Québec lors de l’introduction de sa politique en matière de harcèlement psychologique.

[7] Code de procédure civile, chapitre C-25.01, article 2.

La justice comme une quête

Pour repenser la justice, il importe de remplacer l’idée de faire valoir son « droit » par la bataille par un cheminement, un itinéraire qui permet de tenter de trouver des solutions d’abord par l’autodétermination des protagonistes en conflit avant de faire appel à une autorité décisionnelle extérieure à eux. Il s’agit aussi de tenir compte non seulement des « droits » en présence, mais aussi des besoins et des intérêts des protagonistes tels que l’importance de maintenir ou non des relations, le besoin ou non de confidentialité, les coûts financiers, mais aussi émotifs, l’importance du temps en rapport avec la possibilité de résoudre la situation, etc.  

La quête de la justice emprunte les approches les plus susceptibles de prévenir les différends à naître et de résoudre ceux qui existent déjà. Elle préconise l’amélioration de la communication entre les protagonistes, en favorisant l’échange d’information, en instituant des conditions permettant de comprendre les perspectives divergentes et les enjeux du différend et en privilégiant la collaboration plutôt que la confrontation. 

Plusieurs parcours de résolution de conflits 

À l’instar d’un itinéraire géographique, la quête de justice peut s’imaginer comme un parcours. Plusieurs chemins sont susceptibles d’atteindre un apaisement des malentendus, des différends ou des conflits en jeu. Ainsi, chaque mode d’intervention invite à une démarche visant l’atteinte d’un but propre au système auquel il appartient et adapté à chaque situation particulière. En cas d’échec d’une approche pour trouver une résolution au conflit, de nouvelles voies s’offrent aux protagonistes pour intervenir à d’autres niveaux pour tenter d’éliminer la mésentente. Tout au long du cheminement, le recours judiciaire demeure possible. Toutefois, dans la plupart des cas, le procès s’avère le recours ultime, le dernier rempart de la justice, le processus final lorsque les autres tentatives se sont avérées vaines. 

Appréhender la recherche de la justice comme un itinéraire suppose de connaitre la vaste offre des modes d’intervention en situation de conflits (MISC37) disponibles, accessibles et appropriés dans chaque situation particulière. En conséquence, il appartient aux intervenant.e.s, dont les juristes, d’informer et de conseiller les différents protagonistes en conflit sur les différentes façons de régler le conflit qui l’oppose à l’autre. Cette information permet aux personnes impliquées de choisir, en toute connaissance de cause, le ou les processus appropriés à leur situation dans l’espoir de déterminer la solution qui leur convient le mieux pour régler le conflit.  

De l’autodétermination à l’autorité 

Repenser la justice en l’imaginant comme un itinéraire suppose une forme de gradation entre les processus susceptibles de résoudre les conflits entre les protagonistes. Ainsi, certains MISC se fondent sur la notion d’empowerment soit sur une profonde croyance que les personnes ou les organisations en conflit sont les plus aptes et les mieux placées pour trouver des solutions sur mesure adaptées à leurs circonstances. La notion d’empowerment suppose celles de l’autodétermination et de l’autonomie des personnes dans les choix qu’elles exercent.  

Plusieurs processus de résolution de conflit qui ponctuent l’itinéraire s’inscrivent dans la mouvance de la justice participative. Comme son nom l’indique, la justice participative propose aux personnes qui rencontrent un problème de nature juridique de participer activement à trouver une solution à leur conflit. La justice participative tire sa source d’une volonté d’améliorer la gestion des conflits au bénéfice des personnes impliquées. Elle vise plusieurs objectifs, dont la diminution des tensions dans les dynamiques relationnelles, le rétablissement d’un climat d’échange constructif entre les personnes impliquées. Elle aspire à amener les participant.e.s vers une communication franche et complète en regard des questions qui les préoccupent pour susciter une meilleure compréhension de la réalité de l’autre personne. Elle a pour but d’amener chez chaque participant.e une prise de conscience de son rôle dans la dynamique relationnelle et une intention d’agir constructivement dans l’avenir afin d’établir des rapports plus harmonieux entre elles ou de s’entendre sur les conditions d’une saine rupture. Enfin, la justice participative valorise la résolution de la situation par la prévention et la communication entre les protagonistes au conflit. 

La justice participative favorise des méthodes axées sur la recherche de solutions qui visent une amélioration de l’accès à la justice. Ces méthodes qui incluent notamment la négociation et la médiation ainsi que tout autre mode qui convient aux parties (article 1 du Code de procédure civile du Québec, RLRQ c C-25.01) sont généralement moins coûteuses, plus rapides et souvent aussi efficaces que le recours judiciaire. Ces modes de résolution de conflits peuvent donc être tentés par les protagonistes eux-mêmes ou avec l’aide de professionnels formés pour les accompagner dans la recherche de solutions adaptées à leur situation. L’article 1 du Code de procédure civile du Québec (RLRQ c C-25.01), mis en vigueur le 1er janvier 2016, édicte : « Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux. » 

Les MISC fondés sur l’empowerment des protagonistes en conflit s’opposent à ceux qui requièrent l’intervention d’une décision d’autorité d’un tiers tels que l’arbitrage ou le procès. Dans ces derniers cas, la solution de justice repose sur la décision prononcée par une personne en situation d’autorité qui impose une vision issue des normes préétablies applicables à la situation spécifique. Les protagonistes acceptent de se conformer à la décision à cause de l’autorité et du pouvoir de contrainte conféré aux décideurs. Ces processus de résolution de conflits reposent sur la recherche de la vérité fondée sur la confrontation et la détermination d’un gagnant.e et d’un perdant.e dans la mesure où la réclamation d’une des parties s’avère plus légitime selon la preuve présentée en droit, que celle de son adversaire. 

Tenir compte des droits et des obligations, mais aussi des besoins et des intérêts 

Les MISC fondés sur l’empowerment des protagonistes qui appartiennent à la justice participative tiennent compte non seulement de leurs droits et de leurs obligations, mais également de leurs intérêts et de leurs besoins entendus dans un sens large. Ils ajoutent aux questions juridiques, les dimensions relationnelles, sociales, culturelles, politiques et économiques sous-jacentes des enjeux au conflit. En revanche, les processus qui requièrent l’imposition de décisions d’autorité s’en tiennent aux normativités juridiques reconnues comme légitimes par les personnes qui détiennent le pouvoir de les déterminer et d’en imposer l’exécution. 

La justice comme une quête : illustration des MISC en matière de justice civile  

Les MISC en matière de justice civile gèrent les rapports entre les personnes physiques et/ou les corporations et les organisations. Ils incluent notamment les rapports juridiques qui touchent les contrats ; la famille ; l’acquisition, la vente, le prêt de biens ; les testaments et les successions ; les relations de travail et les rapports commerciaux. Ils portent sur les rapports entre les protagonistes à un conflit par opposition à ceux qui appartiennent au droit pénal et criminel. 

Qu’est-ce que des MISC en matière de justice civile ? 

Les MISC en matière de justice civile gèrent les rapports entre les personnes physiques et/ou les corporations et les organisations. Ils incluent notamment les rapports juridiques qui touchent les contrats ; la famille ; l’acquisition, la vente, le prêt de biens ; les testaments et les successions ; les relations de travail et les rapports commerciaux. Ils portent sur les rapports entre les protagonistes à un conflit par opposition à ceux qui appartiennent au droit pénal et criminel. 

Des conflits souvent relationnels 

Une grande proportion des conflits touchant le droit privé qui affectent les personnes comme les communautés s’inscrivent dans le cours de relations. Qu’il s’agisse de relations familiales, liées au voisinage, au travail ou plus généralement à des enjeux sociétaux, l’environnement ou les droits de la personne, les conflits impliquent non seulement des rapports interpersonnels qui ont un passé, mais aussi qui demeurent porteurs de relations qui ont un avenir à préserver. Souvent la source de ces conflits émerge de malentendus, de différentes perspectives – voire de points de vue opposés ou contradictoires – et d’intérêts divergents vis-à-vis une même situation. Ces malentendus finissent par s’envenimer et dégénérer en conflits qui deviennent de plus en plus enchevêtrés avec des rapports interpersonnels brisés ou en voie d’être irrémédiablement rompus. 

La quête de justice comme un itinéraire 

Afin d’illustrer de manière concrète la manière de s’orienter à l’aide de la mappemonde des MISC, il y a lieu d’évoquer l’image des itinéraires possibles suggérés par Google Map. Avec ce logiciel, il est possible de choisir différents modes de transports (marche, vélo, transport en commun et voiture) ou encore différentes routes pour atteindre sa destination avec un même mode de locomotion.

L’orientation à l’aide de la mappemonde des MISC procède de manière similaire, mais avec certaines différences significatives. Le but de la démarche consiste à gérer le différend de façon efficiente en fonction des objectifs et des valeurs des protagonistes. La carte offre une représentation des différents MISC disponibles pour résoudre le conflit qui préoccupe les protagonistes impliqués.  

Chaque arrêt propose un mode qui pourrait être envisagé pour mieux communiquer et trouver une solution au malentendu. Ainsi, chaque point du parcours constitue un point de choix où les protagonistes peuvent décider, en fonction de leurs objectifs et de l’évolution de la situation, de poursuivre dans une direction ou dans une autre. Si un MISC s’avère inadéquat pour atteindre la destination choisie, les protagonistes vont choisir un autre MISC. Les modes qui suivent demeurent donc disponibles si le MISC proposé s’avère inadéquat ou si le processus n’a pas réussi à résoudre le conflit.  

Idéalement, les modes participatifs permettent aux protagonistes de trouver par eux-mêmes des solutions mutuellement satisfaisantes. Si les premières tentatives ne permettent pas de gérer le différend, le recours à des professionnel-le-s impartiaux tels facilitateur, médiatrice ou conciliateur, peut se révéler aidant. Toutefois, dans certains cas, comme la discrimination systémique ou la constitutionnalité d’une loi, le processus judiciaire traditionnel s’avère le meilleur forum pour déterminer la preuve, poser un verdict public susceptible de conduire à des changements à long terme de pratiques interdites offensantes.  

L’objectif consiste donc à trouver le ou les MISC appropriés pour que les protagonistes puissent atteindre leur destination choisie le plus efficacement possible. 

Comme toutes les représentations du monde sur une carte se font à partir d’un point de vue. Par exemple, dans la majorité des cartes occidentales, l’Europe est au centre du monde. Dans le cadre du projet de recherche, nous avons adopté la perspective de la justice participative pour situer les MISC participatifs en haut de la carte au NORD et les modes d’autorité au bas de la carte au SUD. 

La localisation des MISC les uns par rapport aux autres sur les cartes de la mappemonde, se fonde sur les principes sous-jacents à la réforme du Code de procédure civile. En conséquence, les MISC fondés sur l’autodétermination se trouvent au NORD des cartes alors que les processus qui requièrent une décision d’autorité se situent au SUD. Les modes ainsi représentés, s’inscrivent dans une gradation qui privilégie des interventions qui permettent aux protagonistes de participer à la recherche de solution à leur différend pour graduellement proposer des démarches assistées par des tiers impartiaux pour résoudre le conflit et suggérer, en dernier recours seulement, l’imposition d’une décision d’autorité qui tranche le litige.  

Ainsi, dans la carte qui suit, l’itinéraire consiste à tenter de satisfaire le sentiment de justice des protagonistes d’abord par des procédés situés au nord-ouest, comme la facilitation et la négociation directe. Par exemple, dans le cas d’un conflit qui implique les membres d’une même famille lors d’une rupture conjugale, de la détermination de la relève d’une entreprise familiale ou des difficultés liées à une exécution testamentaire au moment du décès d’un parent, on pourrait présumer que les protagonistes accordent de l’importance à éviter la détérioration de leur relation tout en trouvant à satisfaire leurs intérêts. Le parcours pourrait donc commencer par une tentative d’échange entre les protagonistes. Si la communication directe entre les personnes impliquées ne fonctionne pas, elles pourraient faire appel à un.e thérapeute familial.e (1) puis à un.e facilitateur.rice (2) pour favoriser les échanges entre elles. En cas d’échec de cette approche, elles pourraient s’adresser à une médiateur.rice (3) pour se faire accompagner dans les décisions à prendre. Les modes d’intervention pourraient ensuite inclure notamment le droit collaboratif (4), la conférence de règlement à l’amiable (5) qui ferait l’objet d’une homologation par un.e autre juge (6), la représentation par avocat.e (7) pour explorer de nouvelles approches de négociation avant de faire appel, en dernier recours, à la décision judiciaire (8).

Dans ce cheminement vers une solution de justice, la décision judiciaire devient le terminus, le dernier arrêt des possibilités plutôt que le premier réflexe de l’adversité et de la confrontation. Prévenir et résoudre des différends consiste à commencer la démarche en empruntant un parcours progressif du NORD-OUEST (l’autodétermination, les besoins et les intérêts) avant de se diriger vers le SUD-EST (l’autorité, les droits et les obligations). Les protagonistes au conflit qui empruntent ces voies se donnent ainsi une panoplie de moyens à expérimenter pour communiquer ensemble, pour mieux comprendre la situation à partir de plusieurs perspectives et pour trouver eux-mêmes des solutions mutuellement satisfaisantes qui assouvissent leur désir fondamental de justice.  

PRÉREQUIS, LIMITES ET POSSIBILITÉS DE LA JUSTICE COLLABORATRICE

La justice fondée sur la collaboration qui s’inscrit dans un cheminement n’est pas une panacée. Elle suppose des prérequis. Elle connait des limites tout en offrant des possibilités inconnues du droit. Elle vise une transformation de la culture juridique. 

Prérequis

La justice fondée sur la collaboration repose sur la présence de certains prérequis comme la capacité et la volonté d’y participer, la bonne foi, la transparence et l’attitude constructive essentielle à trouver des solutions satisfaisantes et dans l’intérêt de tous les protagonistes. Or, la coopération n’est pas naturelle lorsque des personnes vivent des conflits. Elle exige que les protagonistes au conflit délaissent l’objectif de « prouver » qu’ils ont « raison », de faire valoir « leur droit », de rechercher la « vengeance ». Elle suppose l’abandon de la volonté de gagner et de rechercher la victoire pour soi. 

Sans ces prérequis essentiels, la justice collaborative s’avère non seulement vaine, mais périlleuse. En effet, une approche collaborative risque de nuire aux protagonistes qui la font valoir s’ils sont confrontés à des « adversaires » adeptes de la confrontation, champions de la querelle, férus de bataille. La justice fondée sur la collaboration peut alors être détournée de ses objectifs et être empruntée pour des fins illégitimes comme gagner du temps pour essouffler et décourager l’adversaire, l’épuiser financièrement et émotivement, obtenir de manière injustifiée des informations pour mieux les utiliser dans un contexte contradictoire, exercer de l’intimidation, brandir la menace, etc. La justice fondée sur la collaboration suppose obligatoirement une réciprocité, un engagement mutuel à respecter ses fondements. Sinon, la pacifiste et le "solutionneur" ne peuvent que se faire dominer par le gladiateur. 

La justice collaboratrice s’inscrit comme première étape d’une démarche dans laquelle le procès constitue le dernier et ultime recours. Elle n’est appropriée que dans la mesure où un excellent système judiciaire contraignant la complémente. En effet, la possibilité réelle de faire appel aux tribunaux et d’y recourir en cas d’achoppement des négociations constitue un contexte idéal pour favoriser une démarche collaborative préalable. 

Peu de limites et beaucoup de possibilités 

La justice fondée sur la coopération requiert qu’il n’y ait pas trop de déséquilibre de pouvoir entre les protagonistes ou que les processus empruntés pour la collaboration en tiennent compte et mettent en place des mécanismes qui contrent cette inégalité. Dans certains cas, la justice fondée sur la collaboration doit nécessairement être écartée non seulement pour tenir compte de ces déséquilibres, mais aussi pour permettre des décisions de principes publiques qui dépassent les intérêts privés des protagonistes. 

Toute solution issue de la collaboration doit respecter l’ordre public, dont les droits de la personne qui font notamment la promotion de l’égalité et qui interdisent toute forme de discrimination. Toutefois, ces contraintes demeurent peu nombreuses.  

En contrepartie, la justice collaborative et participative offre une panoplie d’options dont certaines seulement relèvent du droit. En effet, la justice fondée sur la collaboration permet de tenir compte non seulement des obligations, mais également de l’ensemble de la situation, dont les relations actuelles et à venir des protagonistes en présence. Ainsi les ententes permettent notamment des mesures susceptibles d’améliorer la communication et la compréhension mutuelle, de faire part d’excuses, de trouver de nouvelles manières d’interagir, de couper des liens de manière consensuelle ou de les recréer sur de nouvelles bases. 

Opérer une transformation de la culture juridique 

Enfin, la justice fondée sur la collaboration requiert un changement de paradigme dans la mesure où elle appelle une transformation de la culture juridique. Elle repose sur une quête de justice avec l’autre par opposition à une victoire sur elle ou sur lui. Cette quête de justice s’appuie sur la collaboration plutôt que sur la confrontation. Dans ce contexte, le droit devient un savoir à partager plutôt qu’une expertise à imposer. En effet, le rôle des juristes change puisqu’il passe d’une relation hiérarchique fondée sur leur expertise à une fonction d’accompagnement des protagonistes au conflit dans un rapport de partenariat. Aussi, la démarche s’appuie non pas autant sur l’argumentation que sur l’amélioration de la communication entre les personnes en présence qu’elles soient les protagonistes ou leurs accompagnateur.rice.s.  

De plus, la justice fondée sur la collaboration suppose une coopération qui n’est pas naturelle pour des juristes qui œuvrent dans un système contradictoire et compétitif où tout est stratégie pour obtenir le plus de l’autre sans révéler son jeu. Enfin, en adoptant une approche gagnant-gagnant, les juristes qui adhèrent à la justice collaboratrice recherchent le consensus et des solutions sur mesure. En conclusion, la justice fondée sur la collaboration requiert une transformation de la culture juridique qui s’inscrit désormais dans une quête porteuse d’apaisement.